Face au péril militaire à l’Est: Félix Tshisekedi devant l’impératif d’une contre insurgence mixte!
Dernièrement, Félix Tshisekedi a réalisé une tournée de réconfort en Ituri qui, globalement, a été appréciée. Mais, son départ a été immédiatement suivi d’un nouveau carnage sur les populations impuissantes, par les insurgés sanguinaires écumant cette région. En même temps, on a déploré des tueries à Beni-Butembo, sans parler de la véritable poudrière de Minembwe dans le Sud-Kivu. La continuation de ces macabres tragédies démontre indubitablement que l’alternance à la tête de l’Etat et le discours du changement n’aurait encore aucun impact sur cette guerre résiduelle. Ainsi, doit-il faire très attention sur cette situation (un coutela acérer sous son pied). Peu importe la forme que cela peut revêtir, du moins pour l’instant, Félix Tshisekedi ne doit nullement se contenter des apaisements ainsi que d’autres solutions superficielles, alerte Hubert Kabasu Babu, dans cette réflexion dont la teneur est à prendre au sérieux.
Il est à noter que le classement des FARDC à la 10ème position en Afrique n’est fondé essentiellement que sur le nombre d’hommes mobilisables – selon Global Fire Power qui publie ce classement. En termes d’arsenal, nous sommes le pays le moins équipé de la région. Et donc, pour le moment les FARDC ont une capacité dissuasive, de mobilité et de combativité (military capability) tactique sol-air très réduite. Pire, la précarité sécuritaire à l’Est est déjà en train de se «bokoharamiser ». Ainsi donc, tout le prisme de la Sécurité Nationale de la RDC doit être repensé, face à la nouvelle forme multidimensionnelle des menaces conjuguées : terroriste-islamistes, prédation minière par les groupes armés, cyber criminalité, flux d’immigrants Mbororo armés, périls inhérents au changement climatique (la guerre de l’eau, des terres et de l’énergie renouvelable). Cette dispensation politique doit donc amorcer la cogitation systémique innovante sur la dimension sécuritaire d’un Congo Emergent dans un contexte de la globalisation avec ses contradictions nationales et ses ramifications géostratégiques régionales. Cette réflexion publiée il y a presqu’une année porte toujours sa pertinence. Elle a été reformulée suite à la tragédie qui a eu lieu après le départ du Président F.Tshisekedi de l’Uturi.
1. LA REVISION DE L’HYPOTHESE STRATEGIQUE DES FARDC A L’EST ET LA CONTREINSURGENCE CLEAR-HOLD-BUILD
Toute stratégie est une ruse comme le note en substance Jean-Vincent Holendre dans son ouvrage « LaLa Ruse et la Force : Une Autre Histoire de la Stratégie (Perrin, 2017). Dans les enjeux sécuritaires de la région de Grands Lacs en particulier, la RDC est victime de la ruse politico-économico-militaire comme stratagème de pérennisation de la domination dans la durée. Les ADF/NALU sont l’un des contingents au centre de cette ruse. Ils constituent l’arbre qui cache la forêt. Ce qui les rend plus dangereux c’est la dimension occultée de leur instrumentalisation dans les enjeux et contradictions politiques nationaux ainsi que leur rôle dans le stratagème hégémonique politico-économique régional.
En recourant au corpus prescriptif sur les insurgés dans Tactics in Counterinsurgency (Headquarters Department of the Army, Washington, DC, 2009), on réalise que ce type d’insurgés-terroristes étrangers occupant un espace du territoire d’un pays constitue un péril existentiel pour l’Etat victime de cette invasion. Il y est noté (3-17/3-18) que ce type d’insurgés visent à « établir un système alternatif de contrôle sur la population, rendant impossible l’administration du territoire et des populations par l’Etat. Leur activité est conçue pour affaiblir la légitimité du gouvernement et son contrôle, tout en optimisant la domination et l’influence des insurgés».
Dans cet entendement, l’hypothèse stratégique des FARDC devraient être maximale en conceptualisant les ADF/NALU et autres forces négatives écumant l’Ituri, comme des insurgés-terroristes délégitimant l’Etat et ses institutions. En d’autres termes, les autorités politiques et le haut commandement militaire des FARDC devraient considérer toutes ces forces comme des agents étaticides. La continuation des activités dévastatrices de ces forces négatives va davantage corroborer la thèse de l’impossibilité de l’opérationnalisation durable de l’Etat en RDC, par l’inaptitude avérée et intrinsèque des détenteurs du pouvoir à exercer le sacrosaint monopôle de la violence physique légitime. Donc, c’est toute la crédibilité et la légitimité politique du Président F.Tshisekedi qui sont en péril. Le nouveau président ne devrait aucunement penser que sa seule bonhomie avec les présidents régionaux, et son remplacement de J.Kabila, auraient changé la stratégie hégémonique régionale vis-vis de la RDC.
A partir de cette hypothèse étaticide, la tactique militaire des FARDC devra automatiquement être convertie en mode de contre insurgence non pour la restauration de l’autorité de l’Etat mais pour la restauration de la totalité de l’Etat dont les aires entières sont sous le joug des forces négatives – certaines sont instrumentalisées dans des schémas hégémoniques régionaux. Cette hypothèse stratégique nécessite donc un engagement militaire en nettoyage-contrôle-construction (Clear-hold-build). Il s’agit d’un déploiement militaire intensif et dense de reconquête immédiate et totale de chaque mètre carré, chaque village occupé. Depuis des années les FARDC sont déployées dans une tactique «attaque- repli», laissant à ces odieux criminels le terrain libre pour se réorganiser. Les FARDC devraient être intensément proactives-offensives avec une forte compacité sur chaque portion du territoire occupé, afin de récupérer chaque centimètre carré. Cela permettra la reconstruction de ces villages (dimension importante), et d’y rester jusqu’à l’écrasement total de chaque milice ainsi que la reddition ou le retour définitif des ADF/NALU en Ouganda.
2. LA DEFICIENCE DEVELOPPEMENTALE DE L’ETAT AMPLIFIE LA VULNERABILITE SECURITAIRE NATIONALE
Dans le prisme holistique de la Sécurité Nationale de l’Etat moderne, Harry R.Yarger souligne que «la stratégie est à la fois un art et une science de la conception et de l’utilisation des pouvoirs politique, économique, socio-psychologique, et militaire en conformité avec les orientations de la politique publique en la matière afin de produire les résultats protégeant les intérêts de l’Etat dans un environnement stratégique donné (The Strategic Appraisal : The Key to Effective Strategy). Notons, dans ce prisme, que la stabilité politique est cruciale. Un pays en déficit de cohésion politique entre ses élites et ses groupes sociopolitiques (qui se querellent infiniment tant dans la majorité et dans l’opposition), amplifie sa fragilité exogène. Un pays dont la population est en déficit identitaire-symbolique, en déficience de self-estime nationale, dénuée de prestige régionale et internationale, est dans la précarité existentielle. Aussi, l’incapacité de l’Etat Congolais de transformer son Peuple et de répondre efficacement à ses besoins sociaux et économiques, fait que ce pays est économiquement vassalisé par ses voisins. Cette indigence développementale est une vulnérabilité socioéconomique qui complique l’équation sécuritaire. Cette situation rend la tâche des FARDC extrêmement difficile, car elles se battent sur un terrain miné en profondeur par son assujettissement socioéconomique à l’Afrique de l’Est. Les éléments internes et externes y trouvent un vivier aux profits mielleux.
Malheureusement, les politiciens Congolais, de manière générale, ont une conception mono-instrumentale de la Sécurité Nationale. Leur épistème et praxis sécuritaire désuets font fonctionner le seul triptyque coercitif FARDC-PNC-ANR pour la seule protection du pouvoir politique. Cette gouvernance sécuritaire obsolète pèche ainsi par ce que Hans Morgenteau qualifie de « fallacieux facteur unique ». Conséquemment, on fait porter sur les épaules des FARDC une charge excessive qu’elles ne peuvent supporter seules. Comme le relève Harry R.Yarger (idem), l’armée n’est qu’un outil parmi d’autres dans le paradigme de la Sécurité Nationale Holistique.
A ce sujet, Clayton K.S Chun («Economy : A Key Element of National Power » in U.S.Army War College Guide to National Security Issue. Vol.I. Theory of War and Strategy, 3rd.Ed. 2008) note que «les Etats autant que les acteurs non-étatiques, utilisent le pouvoir économique pour conduire des guerres et maintenir leurs influences au plan régional et global ». Après les guerres militaires formelles, la RDC subit de plein fouet la guerre socioéconomique dont elle n’élucide ni les ruses en profondeur, ni la vraie ampleur par rapport à son existence comme Etat. Chun insiste sur le fait que «la capacité de colleter, transformer, et utiliser les ressources est une composante clé de la Sécurité Nationale….L’hégémonie n’est plus réalisée nécessairement en recourant à l’armée. Les Etats parviennent à imposeur leurs volontés et à réaliser leurs agendas politiques par la domination économique».
Le Président Ougandais Museveni n’avait-il pas lui-même un jour affirmé «Les guerres sont bonnes pour les affaires». Nous devons donc faire très attention à tous ces schémas de libre échange régional et continental. Sans les rejeter, nous devrions éviter d’y aller sans remédier immédiatement et avec vélocité à notre indigence économique. Nous devons, immédiatement imaginer et implémenter des projets accélérateurs d’industrialisation (civile et militaire) capables de nous placer en position de gagnant dans cette nouvelle configuration économique – consolidant ainsi notre sécurité nationale.
CONCLUSION
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DEVRAIT LANCER UNE CAMPAGNE INTENSIVE DE CONTREINSURGENCE MILITARO-SOCIOECONOMIQUE
Les brillants stratégistes sécuritaires contemporains, de Santa Cruz de Marcenado, en passant par David Galula, Robert G.K. Thompson, jusqu’aux analystes modernes des guerres insurrectionnelles, il y a concordance des vues sur l’importance de la gouvernance économique répondant aux besoins existentiels des populations comme l’ultime moyen de la contreinsurgence. Ils relèvent que la contreinsurgence la plus effective intègre et synchronise les efforts politique, sécuritaire, économique et informel permettant de renforcer la légitimité et l’efficacité gouvernementale, tout en réduisant l’influence des insurgés sur la population. Dans cette optique, il est donc urgent que le Président de la République F.Tshisekedi impulse une nouvelle ingéniosité sécuritaire nationale développementale en RDC – en dépassement du model coercitif protecteur du pouvoir. Le changement qu’il prône devrait apporter, au point de vue du paradigme de la sécurité nationale, un prisme innovant. Celui-ci repenserait toute l’approche sécuritaire nationale, et surtout militaire, en conjonction avec le Gouvernement central et les Gouvernements provinciaux. Cela permettrait de lancer une opération militaire ultime en mode nettoyage-contrôle-construction (Clear-hold-build) en conjonction avec une campagne spéciale de remodelage mental et de reconstruction socioéconomique au nord-est. Il en résulterait la possibilité d’éliminer toutes les milices, d’écraser les ADF ou les renvoyer en Ouganda. Cette modalité peut se dérouler immédiatement et à court et moyen terme, selon la matrice stratégique-opérationnelle ci-après :
REFERENTS DE LA STRATEGIE D’UNE CONTREINSURGENCE MIXTE (version réduite)
RAYON MILITAIRE
CAMPAGNE INTENSIVE ET DENSE DE 30 JOURS
Déploiement de 5.000 hommes. Elimination des insurges/milices en approche C nord-ouest-sud en évacuation vers l’est (Lac Albert-Semuliki-Lac Edward).
Nettoyage, incrustation Acupunctrice des FARDC cimentées sur cet espace jusqu’à nouvel ordre.
RAYON
ECONOMIQUE ET SOCIAL
Lancer un plan spécial d’urgence de reconstruction socioéconomique des provinces de l’Ituri et du Grand Kivu (agriculture, hôpitaux, écoles, agro-industrie). Cela s’applique à toutes les provinces (voire séminaire de Gouverneurs)
Revoir et recentrer les opérations d’achat d’or et de coltan avec une bourse internationale à Goma City (centre à créer à l’ouest de la ville).
RAYON
ADMINISTRATIF
Former et équiper les structures administratives locales pour la gouvernance sécuritaire. Les équiper et établir un système de monitoring minutieux.
Lancer une campagne urgente d’identification biométrique des populations dans cet espace (la CENI possède l’équipement moderne)
RAYON
POLITIQUE ET PSYCHOLOGIQUE
Séjour du Gouvernement central à l’Est pendant une semaine au moins. Permutation des autorités politico-administratives et sécuritaires (FARDC-ANR-PNC-DGM). Promotion d’une ville de l’Est en mégapole régional.
Lancement par le Gouvernement Central d’un plan spécial d’assistance aux victimes les plus démunies et des familles touchées
SOCLE MILITAIRE URGENT
En coopération avec le Département de la Défense des USA, Former un bataillon de Forces Spéciales anti-insurrectionnelles et acquérir immédiatement au moins 10 hélicoptères de transport, 10 hélicoptères d’attaque (air-sol) et 15 avions d’attaque. Les Américains qui sont disposés à aider le Président F.Tshisekedi attendent de lui, de manière proactive, un projet robuste (game changer military project)
Il s’agit d’une matrice générique dont les détails et les actions parallèles ne peuvent pas être éclairés ici. C’est qui est d’une importance fondamentale c’est l’urgence d’une nouvelle conceptualisation des impératifs de la Sécurité Nationale Holistique dans la construction de l’Etat sous la dispensation de F.Tshisekedi. Nous devons faire preuve d’un remarquable géni stratégique-sécuritaire pour comprendre la profondeur et la complexité des enjeux sécuritaires nationaux, des périls régionaux et internationaux qui se sont complexifiés. Mieux encore, nous devons, aujourd’hui et maintenant, capitaliser nos opportunités et potentialités pour renforcer notre sécurité nationale. C’est une dimension que le nouveau Président F.Tshisekedi devrait discerner pour ne pas s’enliser dans le paradigme sécuritaire suranné, en déphasage avec l’élan d’un Congo Démocratique et Emergent. Les FARDC peuvent anéantir les ADF/NALU est autres milices, afin de restaurer la légitimité de l’Etat et assurer une existence paisible aux populations du nord-est. Pour cela, la gouvernance sécuritaire nationale devrait intégrer dans une nouvelle vision, et dans la doctrine militaire républicaine, notre destinée de puissance continentale. Toute notre machine sécuritaire nécessite une reconceptualisation et un réarmement en conformité avec la fulgurante transformation socioéconomique de la RDC.